CHAPITRE IV
Les ressorts de financement des PME
A. Description du contexte
Les chapitres précédents nous ont éclairé sur le lien étroit entre intermédiation bancaire et entreprise, notamment la PME privée.
Si l’on examinait les résultats en terme de marge de profit des banques, on s’apercevrait que l’activité avec la clientèle représente une part dominante dans la marge d’intermédiation : pour les banques publiques, elle se situe à 45,87% en 2007.
A partir de l’exercice 2006, la part du secteur privé dans l’encours des crédits distribués progresse jusqu'à atteindre 54,1%. La marge de profit bancaire s’est donc accrue en proportion de cet accroissement.
Il y a indéniablement sur la somme des crédits non performants dans les actifs des banques, une bonne part de crédits octroyés aux entreprises publiques.
Cette donnée a considérablement rogné les marges de profits bancaires.
Et on peut dire sans risque d’erreur que les actifs détenus sur le secteur des entreprises publiques et celui qui génère les crédits non performants.
La Banque d’Algérie qualifie d’ « important » le niveau des créances non performantes dans les actifs des banques publiques.
Marge profit |
2006 2007 2008 |
25,11 33,39% 40,07% |
Source : Banque d'Algérie. |
Il s'agit de la marge bancaire conservée après constatation des frais de gestion.
Pourtant, en dépit d’une forte liquidité en 2007 et 2008[1], les opportunités d’emploi dans les opérations avec la clientèle ont été limitées.
On comprend dès lors pourquoi la PME est perçue comme le segment de clientèle à privilégier.
Dans le système économique et financier libéral, le financement des entreprises est à la fois pourvu par le système bancaire et le marché financier. Il y a certes les financements alternatifs, mais ceux-là s’adressent à des catégories particulières. Or, ce mécanisme est inopérant dans le cadre du système économico-financier algérien.
En règle générale, les grandes entreprises [SPA] trouvent dans le marché financier une source de financement de leurs besoins d’investissement ; les PME ont en revanche recours exclusivement aux banques pour suppléer à leurs besoins de crédits, l’environnement économique, financier et règlementaire n’offrant aucune alternative au crédit bancaire commercial.
Ce modèle de mise en œuvre des processus de financement commence tout juste à être perceptible dans ses contours, la formation du marché financier algérien étant encore à ses premiers balbutiements illustrés par quelques exemples d’émissions obligataires de grandes entreprises.
Les PME privées demeurent organisées selon un schéma familial, dotées du statut juridique de SARL, bien qu’elles soient quelques fois assimilées à tort, à de grandes entreprises[1].
Il n’est par conséquent pas excessif de penser que les PME soient exclues des mécanismes de marché ou qu’elles ne trouvent nulle alternative au financement de leur croissance. L'Agence nationale de développement (ANDI ) révèle que pour l’exercice 2007, l’investissement dans le cadre des PME est, à plus de 70 %, réalisé sur des apports privés - 6,3 milliards de dollars injectés par les investisseurs locaux, ventilés sur près de 7000 projets[2]. L’accompagnement système bancaire demeure donc restreint, avec une contribution modérée aux nouveaux investissements.
Ce fait suggère que le capital local s’efforce de s’investir en dépit des contraintes nombreuses liées à l’environnement administratif, culturel et institutionnel, mais aussi de marché.
Le manque de synergies et l’absence de pôles de compétitivité figent pour ainsi dire la situation[3].
Les difficultés d’accès au crédit bancaire dépossède les PME des instruments de leur croissance et de leur capacité d’innovation, leur substance en tant qu’organisation à soutenir la concurrence, et, enfin, leur existence même. Elle évolue dans un contexte peu favorable rendu plus complexe par nombre de contraintes :
- de structure et de croissance ;
- d’absence de mécanismes d’innovation ;
- d’absence de mécanismes de marché et financiers propres à la PME.
Ce diagnostic que les banquiers n’ont certes pas manqué de faire est de nature à susciter le doute quant à la fiabilité des entreprises qui s’adressent à eux, par conséquent quant à leur devenir et à leur existence, à long terme.
Par ailleurs, l’éparpillement des petites et moyennes entreprises les cantonnent dans des surfaces financières étroites, les appauvrit sur le plan technologique et réduit leur impact commercial.
On s’efforce en effet de faire admettre l’idée d’un regroupement des petites entreprises en guise d’alternative aux difficultés d’adaptation à la concurrence, à l’appauvrissement en compétences et au manque de ressources de croissance ; et, par-dessus tout, l’idée d’un regroupement se présente tel une alternative aux difficultés à trouver des financements.
Non seulement l’état actuel des PME pose la problématique de leur propre croissance, et, plus globalement, la problématique du développement économique.
La palette des instruments de financement à la disposition des entreprises est restreinte. Capital-risque et capital investissement étant encore inexistants, on se focalise sur le système bancaire.
Le système économique algérien manque des ressorts et dispositifs qui auraient pu permettre aux PME de s’adosser à des groupes dotés d’une forte amplitude technologique et financière[4].
La connaissance du secteur de la PME étant sinon sommaire du moins très approximative, nous savons peu de choses des capacités de croissance de celles-ci, d’où l’inexistence de critères de classement ou d’identification des PME.
Les banquiers sont donc confrontés à la méconnaissance des conditions véritables d’intervention des emprunteurs (PME).
B. Relation banque - Emprunteur introuvable ?
Nous avons noté qu’en dépit d’une liquidité appréciable le crédit aux entreprises (PME) est resté structurellement limité, eu égard au potentiel d’investissement reconnu.
C’est notamment autour de la communication financière et de la transparence que se noue une relation de confiance entre la banque et l’entreprise. Inversement, tout aussi importante est la transparence du prêteur à l’égard de l’emprunteur. La transparence se matérialise par la publication et la diffusion de l’information financière et comptable. C’est pour l’heure le talon d’Achille de l’ensemble du système économique algérien ; sans doute en raison de la taille des PME d’une part, et l’absence des mécanismes du marché financier d’autre part[5].
Indéniablement, lorsque la relation entre les deux acteurs ne repose pas sur un engagement fondé et motivé, il en résulte une hésitation qui s’achève dans l’irrésolution de la banque.
Les banques et les entreprises algériennes sont inscrites dans un système économique et dans un dispositif contractuel n’autorisant guère l’accompagnement, l’incitation au regroupement ou la restructuration. Autant d’obstacles devant un engagement résolu et intéressé des banques.
L’évaluation du risque lié aux engagements vis-à-vis des PME, agirait-il comme un frein ?
Les mécanismes de gestion du risque de crédit à l’œuvre dans les banques, ainsi que le dispositif de Bâle II[6], montrent que l’engagement bancaire en est effectivement tributaire. Les états compatibles et les garanties de l’emprunteur déterminent dans tous les cas l’engagement des banquiers. C’est presque un archaïsme en ce que ces deux paramètres excluent tout autre critère d’évaluation.
Les nouvelles dispositions du comité de Bâle II devant entrer en application en 2009, inciteront à une nouvelle approche du risque de crédit.
Ce pourrait être une opportunité de s’engager sur le sentier d’une normalité avantageuse, nourrissant une relation banque / PME fondée sur les principes de transparence et de confiance réciproque.
De nouvelles règles inspirées de Bâle II devront donc régir le crédit dans l’espace bancaire international ; elles accordent une plus grande importance aux PME en les faisant bénéficier des nouvelles pondérations, plus favorables, à travers une attitude plus objective et différenciée du risque de crédit, fondée sur l’idée d’une transparence qui guide une évaluation précise de l’emprunteur.
La réforme des entreprises de 1988-89 encouragea explicitement l’ouverture de la banque publique à la PME ; elle élève ainsi la petite et moyenne entreprise privée au rang de choix stratégique du métier de la banque. Néanmoins, c’est après 1994, avec l’enclenchement de la réforme des structures de l’économie que la PME -en particulier privée- est acceptée comme un vecteur de développement stratégique de l’activité bancaire. Les dirigeants des banques en firent le leitmotiv de leur nouvelle orientation.
La déconfiture du système industriel public, avec l’affaissement de l’activité alors principalement fondée sur la demande publique, le surendettement subséquent des EPE constatée dès 1990-1991 avec les premières restructurations d’entreprises, anoblit la PME privée érigée en segment de moindre risque, voire profitable sur le moyen et long terme.
Les facilitations intervenues en matière d’investissement privé (création des entreprises et des activités en générales), ont généré une population importante de PME caractérisée par une démographie très vive enregistrant des naissances et des disparitions se chiffrant annuellement par milliers[7].
Pour 2007, les chiffres rendus publics indiquent que plus de 11000 naissances ont été enregistrées alors qu’en parallèle, 2000 entreprises ont été dissoutes. Globalement, 3000 entreprises disparaissent chaque année et 20000 à 25000 naissent.
Endettement et méconnaissance du marché constituent les principales causes de leur disparition. Cette vivacité démographique demeure cependant normale en vertu du principe de survivance des entreprises les plus adaptées, les mieux organisées et les plus réactives sur le plan de l’innovation et donc de la concurrence.
C’est faire une litote de noter que les études les plus récentes concluent à la fragilité des structures financières, organisationnelles et administratives des PME.
Les PME, écrit un groupe d’universitaires, « n’ont pas bénéficié d’un environnement institutionnel adéquat susceptible de soutenir leur déploiement et leur modernisation. Cette perspective véhicule des risques majeurs pour les PME d’autant plus élevés qu’elles sont relativement démunies en ressources et en connaissances techniques et scientifiques pour faire face à la concurrence… »[8].
Tableau 2. Structure de la PME en Algérie (2004) | ||||
| Nombre de PME | Nombre d’emplois | ||
Nature des PME | Nombre | % | Nombre | % |
PME privées (1) | 225 449 | 72 | 592 758 | 71 |
PME publiques (2) | 778 | 0 | 71 826 | 9 |
Artisans (3) | 86 732 | 28 | 173 920 | 21 |
Total | 312 959 | 100 | 838 504 | 100 |
Source : CNAS - MDPMI - CAM |
Evolution de la structure de la population des PME privées en Algérie | |||||
Secteurs d’activités | 1995 | 2000 | 2004 | 1995-2000 | 2000-2004 |
Agriculture | 542 | 754 | 2748 | 39 | 264 |
Industrie +hydrocarbure | 36285 | 43721 | 46991 | 20 | 7 |
Bâtiments et travaux publics | 16010 | 18674 | 72869 | 17 | 290 |
Services | 183461 | 224385 | 102841 | 22 | -54 |
|
|
|
|
|
|
Commerce | 127234 | 157392 | 37954 | 24 | -76 |
Transports et communication | 15010 | 16216 | 20294 | 8 | 25 |
Café et restaurant | 14443 | 17292 | 14103 | 20 | -18 |
Services aux entreprises | 2005 | 2416 | 10843 | 20 | 349 |
Services f aux ménages | 24769 | 31069 | 16933 | 25 | -45 |
| 236.298 | 287.534 | 225.449 | 22 | -22 |
Source : CNAS – MDPMI - CAM
[1]-L'accroissement des dépôts à vue et à terme s'est poursuivi en 2007 et 2008, respectivement de 30,8% et 14,5% (Rapport annuel 2008 B.A.).
[1]- La « société à responsabilité limitée » (SARL) est davantage une société de personne que de capitaux. C’est le statut le plus répandu en Algérie ; elles offrent une grande flexibilité de gestion. Avec l’introduction de la « société unipersonnelle à responsabilité limité (EURL), cette forme juridique devient quasi dominante. La préférence accordée à cette forme juridique ressort aussi aux difficultés de constitution des « sociétés par action » (SPA) qui nécessitent au moins sept actionnaires, présentent de la complexité dans le fonctionnement et s’éloignent de la conception contractuelle qui amoindrit du poids de la volonté des actionnaires. Voir sur cette question le rapport de la Banque Mondiale pour 2005, intitulé : « Le droit des affaire et le développement de l’entreprise privée en Algérie ».
[2]- Pour l’exercice 2007, l’agence nationale pour le développement de l’investissement (ANDI) communique le bilan suivant : 6975 projets enregistrés, représentant une valeur de 9,8 milliards de dollars, dont 6875 sont le fait d’investisseurs locaux. Les nouvelles créations apportent 516,2 milliards de dinars.
[3]- L’importance numérique des petites et très petites entreprises, comme en Italie, confère une ossature solide au système économique. Elles deviennent ainsi le vecteur de création de la richesse nationale, donc de la croissance.
Avec une population de PME/PMI de 3,5 millions, l’Italie a construit un système fondé sur une rigoureuse organisation en réseau pertinent. Brièvement, l’organisation de ce réseau se fonde sur un découpage en districts économique et régionaux spécialisés, permettant aux PME d’opérer autour d’un pôle de production, tel l’industrie automobile ou l’immobilier, par exemple. Cf. El Watan du 03 12 2007.
Le caractère familial des PME n’est donc pas en soi un frein au développement et à la croissance, à condition toutefois d’intégrer la PME/PMI dans l’action d’une politique économique qui définisse les grandes lignes du développement.
Cette digression nous amène à établir le parallèle avec le contexte algérien. Il semble en effet que le caractère familiale et la taille dominante de la PME soit un frein à la croissance et au développement de l’entreprise elle-même.
La fragilité d’ensemble du système économique algérien, la déstructuration des différents pôles industriels et l’absence d’une stratégie de développement autour de grands pôles, fait que la petite entreprise, en particulier l’entreprise familiale, devient un handicap plus qu’un avantage pour l’économie.
[4]- La création d’entreprises organisées sous forme de groupe de sociétés n’est pas régie pour l’heure par une législation claire. Il y a une distorsion entre les dispositions du code de commerce et la législation fiscale. Voir code de commerce, articles 729 à 732 bis ; le code des impôts et taxes assimilées, articles 138 bis à 219 ; le code de l’enregistrement, article 347).
Les pages de vide juridique relatives à la mise en faillite et circulation des personnes d’une filiale à l’autre, l’effet des contrats conclus par une filiale mais exécutés par une autre…appelle des compléments nécessaires.
[5]- C’est un point délicat que celui de la transparence financière et comptable des PME. Selon le ministère des finances, 33% des entreprises ne déclarent pas leurs revenus (2007 – 2008).
[6]- Voir infra.
[7]- 592 758 est le nombre des PME privées répertoriées en 2004, elles représentent 71% du total des entreprises.
[8]- Z. Adli, A. Ferrah, S. Yahiaoui, Kaci M., Chehat F - «Le développement de la PME en Algérie : l’impératif de mise a niveau des institutions ».