CHAPITRE DEUX
Investissement étranger et national
I/. Investissement local et étranger
Le thème de l’investissement a fait l’essentiel du discours des gouvernements qui se sont succédés depuis 1994. À partir de 1998, c’est-à-dire dès fin de l’accord de financement élargi (FFE) avec le Fonds monétaire international, la relance de l’économie par l’investissement devenait cruciale.
Durant la phase de stabilisation le traitement administré à combiné récession, compression de la demande, restructuration de l’entreprise publique, et, depuis 1999, clôture de certains financements publics. L’Etat n’ayant guère les moyens d’investir massivement, les transformations entreprises devaient conduire à une plus grande participation du secteur privé à l’investissement, au moyen de multiples aménagements et incitations fiscales.
Bien sûr, dans le discours, on invitait solennellement les patrons et hommes d’affaires algériens à investir. Les autorités furent pendant toute cette période fermement convaincues que les aménagements introduits au nouveau code des investissements de 1993 et la création, en 1995, du guichet unique pour l’investisseur (ASPI) suffisaient à encourager l’investissement privé.
Dans leur majorité, les dirigeants qui avaient conduit les réformes économiques de 1994 à 1998 étaient déstabilisés par l’ampleur des tâches à accomplir.
L’isolement de l’Algérie pesant, ils ne percevaient ces réformes qu’à la façon d’une cuisine interne.
A/. Le cadre législatif
Les précédents ajustements structurels de 1989 et 1991 ont pavé la voie à l’investissement étranger sur le plan législatif. Aussi, les autorités étaient-elles convaincues que le code des investissements adopté en 1993 est "un cadre favorable au développement des IDE", car il repose sur un certain nombre de principes jusque-là manquants.[1]
Il offrait déjà une égalité de traitement entre investisseurs résidents et non-résidents ainsi que des incitations fiscales et financières selon des règles pré-établies (zones et branches d’investissement).
Ses principales dispositions se résument comme suit :
1/. L’investissement est soumis au simple régime déclaratif et l’agrément n’est nécessaire que dans l’hypothèse d’une demande d’avantages fiscaux.
2/. Très tôt, le code avait consacré le "libre rapatriement des profits", mais ce n’est qu’en 1997 que ce principe a pris un caractère officiellement contraignant, avec l’adhésion de l’Algérie à l’article VIII des statuts du FMI relatif à la pleine convertibilité des transactions courantes.
Le transfert des capitaux étrangers et des revenues en découlant n’était pas encore intégré dans la culture des responsables de l’économie et des décideurs politiques.
Et, bien après la mise en œuvre du programme de stabilisation et la signature de l’accord avec le FMI, le tabou est resté intact concernant le transfert des fonds investis par des étrangers.
Cette faille considérable ne semblait pas cependant beaucoup déranger, et le résultat fut qu’aucun dollar ne s’est investi hors hydrocarbures avant 1998.
3/. Des garantis spécifiques sont apportées à l’investissement étranger afin de le mettre à l’abri des nationalisations et réquisitions.
Dans ce cadre, l’Algérie a adhéré à l’Agence multilatérale de garantie des investissements, au Centre international pour le règlement des différents relatifs aux investissements et à la Convention de New York portant reconnaissance et exécution des sentences arbitrales.
Un pas en avant qui allait conduire progressivement à prendre l’ordonnance présidentielle sur l’investissement au mois d’août 2001.
C’est cependant dans le secteur des hydrocarbures que les incitations les plus convaincantes sont observées.[2]
L’assistance du FMI et de la Banque mondiale n’a pas été exploitée suffisamment, les algériens voulant vaille que vaille faire comprendre que se sont eux qui décident des chantiers de réformes économiques, ce qui a causé des lenteurs extrêmes et des processus interminables d’élaboration de lois.
Durant cette première période, les dirigeants de l’économie algérienne étaient confrontés à un problème de légitimation des réformes structurelles (libéralisation et le passage à l’économie de marché).
Les cadres, jeunes pour la plus part, placés à la tête des ministères ou des administrations centrales chargées de conduire certains réformes, n’avaient pas l’autorités des technocrates et souffraient d’un manque affirmé de soutien politique.
L’ajustement structurel, en particulier dans le volet privatisation, exigeait très tôt un consensus.
Or, l’affrontement a prédominé relativement à la réforme de l’entreprise publique depuis 1991, période de mise en œuvre des premiers licenciements massifs.
Tout au long de la période de stabilisation et en particulier après 1996, les autorités algériennes étaient partagées entre l’étonnement et l’incompréhension face au manque d’empressements des investisseurs étrangers.
Lors d’un entretien particulier avec le ministre des finances en 1998, plus précisément à la fin de l’accord avec le FMI, celui-ci me confia que les investisseurs sont généralement "lâches" en ce qui concerne l’Algérie.[3]
En ce temps-là, les responsables politiques considéraient en effet que la réussite de la stabilisation macro-économique et l’assainissement financier devaient être récompensés par un afflux massif des IDE.
A partir de 1995/96, les autorités se sont évertuées à intéresser les investisseurs européens au marché algérien.
Le défilé incessant d’hommes d’affaires et de représentants d’institutions financières a attesté de cet effort.
En aparté les hommes d’affaires se disaient disposés à investir, mais ces déclarations de principe étaient conditionnées par la poursuite des réformes et une ouverture économique plus explicite.
La situation s’étant dégradée depuis, il devenaient plus judicieux d’œuvrer à susciter des vocations de capitaux, localement.
La réforme monétaire a laminé le patronat algérien qui subit violemment le contrechoc de la dévaluation en terme de perte de change.
La violence terroriste a fait le reste en ralentissant considérablement l’activité des l’entreprises privées.
Cet environnement, corsé par des taux d’intérêts bancaires très élevés et un marché interne presque insolvable, rendait l’investissement plus qu’aléatoire.
On avait cependant conscience que l’investissement local aurait dû être un facteur de rétablissement de la confiance ; et on espérait que les capitaux des algériens expatriés, une fois investis dans le pays, allaient encourager les étrangers à emboîter le pas.
B/. Le pari des capacités internes
Ministre des finances à partir de 1994, M. Ahmed Benbitour expliquait à l’occasion d’un entretien exclusif qu’il m’accorda en 1999, que le débat sur la relance de l’investissement avait précédé l’accord avec le FMI et la Banque mondiale, dont voici les éléments d’interrogation : "jusqu’à 1993, c’était en effet la récession, et la question se posait de savoir s’il était possible d’assurer une réforme économique et une démarche de stabilisation en relançant l’investissement, ou plus exactement, en alimentant une croissance de la production.
Compte tenu des efforts d’investissement antérieurs, nous nous sommes retrouvés avec un capital disponible non utilisé.
Que fallait-il en faire ?
L’utiliser ou bien se lancer dans une politique nouvelle d’investissement ?
Le secteur industriel a fonctionné à 50% de ses capacités ; l’agriculture autant, avec une jachère égale à la parie cultivée et des rendements faibles.[4]
De mon point de vue, il y avait un pari à tenir : permettre une relance de la production par une meilleure utilisation des capacités disponibles.
L’idée était de dire que puisque la crise financière et les déséquilibres financiers extérieurs ont fait que les volumes d’importations ont été réduits de moitié dès 1993 (témoignage du sous approvisionnement du secteur productif), avec la relaxation de la contrainte devise par un rééchelonnement, il devenait possible de mieux approvisionner l’économie.
C’était le pari du programme de stabilisation de 1994.
Relance donc pendant les deux premières années et relais via la restructuration industrielle.
On pensait arriver, en combinant l’importation et le redressement, à une économie stabilisée.
Autrement dit, dotée des trois variables clé de la décision d’investir.
Nous pensions qu’avec des taux de change et des taux intérêts réels stabilisés, nous pourrions nous lancer dans une phase de relance par l’investissement, mais cette fois-ci en terme qualitatif.
Donc, la relance des secteurs qui régleraient les problèmes sociaux et alimenteraient la croissance.
Essentiellement dans l’agriculture, dont la capacité d’utilisation de la main d’œuvre est forte ".
Ainsi, en ce début de la stabilisation, la relance économique était fondée sur le principe des capacités internes. Les dirigeants étaient fermement convaincus que le pari était tenable au prix d’une restructuration des entreprises et par l’approvisionnement de l’appareil de production.
Le gouvernement était persuadé d’une relance possible grâce à la PME/PMI privée, mais aussi par l’apport d’une population entrepreneuriale expatriée.
Partant de cette analyse, le gouvernement avait défini un certain nombre d’exigences qui devaient, lors de la phase de stabilisation, préparer le terrain à l’investissement et en faire l’instrument d’une relance, ainsi résumés par M. Benbitour :
1/. Il doit être le fait du privé national.
2/. Exigence de taux d’épargne élevés, afin que l’investissement ne soit pas le résultat d’un nouvel endettement extérieur.
3/. Exigence d’une forte croissance du capital humain, et orientation des politiques nationales en direction du maintien des compétences dans le pays.
4/. Exigence d’une stabilisation macro-économique dans laquelle les prix détermineront les forces du marché et guideront les investissements, sans interférences par décisions administratives.
5/. Respect scrupuleux des équilibres financiers intérieurs et extérieurs.
6/. Existence d’institutions économiques capables de huiler les relations économiques et encourager l’investissement :
Une administration saine, un secteur judiciaire apte à faire respecter les contrats et un secteur financier à la hauteur des exigences des investisseurs étrangers.
7/. Stabilité politique ainsi qu’une bonne gouvernance.
Le problème de l’investissement est longtemps resté dans l’esprit des dirigeants déterminé par des facteurs quantifiables.
Les données macro-économiques devaient suffire selon ce point de vue à le déterminer.
Mais cette analyse négligeait l’élément certitude et stabilité que les investisseurs recherchent.[5]
Or, jusqu’à la fin 1998, les investisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers, attendaient les signes forts d’une ouverture déterminée.
En effet, au sortir de l’accord de financement élargi, les conditions étaient en nette amélioration.
La visibilité était déjà considérablement améliorée, mais nous étions encore loin de ce que M. A. Harchaoui appelait " un cadre de confiance favorable à l’investissement "
De quoi s’agit-il ?
Flux d’investissements étrangers directs au Maghreb
(Millions de Dollars)
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Algérie |
-4,0 |
-39,0 |
X |
X |
X |
X |
270,0 |
260,0 |
500,0 |
460,0 |
420,0 |
Tunisie |
760,0 |
122,0 |
364,0 |
575,0 |
426,0 |
269,0 |
237,0 |
333,0 |
651,0 |
347,0 |
751,0 |
Maroc |
165,0 |
296,0 |
391,0 |
468,0 |
227,0 |
278,0 |
284,0 |
1070,8 |
312,0 |
831,5 |
142,8 |
Source : Balance of payements and external public debt of Arab Countries, Arab monetary fund, N°15. 2001
En 1998, beaucoup restait à faire en matière de règlementation et de législation.
La fiscalité, la tarification douanière et la libération des flux des capitaux investis, en particulier concernant le rapatriement, était autant d’écueils persistants sur le parcours des hommes d’affaires étrangers, habitués sous d’autres cieux à de meilleures conditions.
Il manquait alors l’autorité nécessaire au niveau le plus élevé de l’Etat ainsi que la capacité à prendre les décisions, sans avoir à les diluer dans les méandres des consensus obligatoires qu’imposaient immanquablement le schéma d’organisation administrative qui allait du chef du gouvernement à l’entreprise, en passant par de multiples centres décisionnels.
Autant de facteurs s’ajoutant au problème d’insécurité et dissuadant l’investissement.
La question sécuritaire ne semblait pourtant pas beaucoup compter dans le discours politique jusqu’à 1998.
C’est bien plus tard, alors que les organismes de notation (COFACE) urent profondément revu leur appréciation du risque Algérie comme évoqué ci-dessus, que le gouvernement reconnut que les problèmes d’insécurité avaient amoindri l’attractivité de l’Algérie sur le plan économique.[6]
A suivre...A suivre....
- 27 - M. Abdelkrim Harchaoui était ministre de Finances sous deux gouvernements : celui de MM. Ahmed Benbitour et Ahmed Ouyahia.
- 28 - Dans les années 1970, le taux d’investissement était de 0.45 ; ce qui veut dire que pour 100 DA de PIB, 45 DA vont vers l’investissement. Ce qui a donné un taux de croissance moyen de 7% sur cette période, un taux de croissance réel de la consommation par habitant de 4% et un taux démographique de 3,2%.
- 29 - Ancien ministre des finances, M. A Harchaoui évoquait l’investissement en ces termes :"nous avons clôturé l’année 1998 avec un niveau d’inflation de 5% proches du taux des principaux partenaires développés de l’Algérie qui maîtrisaient parfaitement leur stabilité financière, nous avons néanmoins clôturé le mois de janvier 98 avec une inflation de 3% ce qui atteste de la poursuite de la tendance à la maîtrise de l’inflation.
Les taux d’intérêts sont des indicateurs extrêmement importants pour l’investisseur, car s’ils sont trop élevés, ils constituent une entrave aux investissements.
- 30 - M. Hamid Temmar, ministre du Commerce jusqu’à juin 2002, avait en effet reconnu, lors du passage à Alger du directeur général de la COFACE au début de l’été 2002, que les conditions internes de sécurité ont principalement dissuadé les investisseurs étrangers : "90% de décision des investisseurs prennent en considération l’aspect sécuritaire et politique". Quant au directeur de la COFACE, bien que se voulant diplomate, ne déclara pas moins que les entreprises français en Algérie étaient confrontées à des risques réels.