CHAPITRE DEUX (suite 1)
Investissement étranger et national
II/. UN CADRE PLUS LIBERAL POUR L’INVESTISSEMENT
Le capital n’a pas d’état d’âme ! Cette conviction est parfaitement assimilée à présent par les autorités politiques algériennes. Il a donc fallu dès lors multiplier les signaux au plus haut niveau politique et offrir des concessions généreuses.
L’ordonnance présidentielle n°01 – 03 du mois d’août 2001 peut être considérée comme l’acte fondateur d’une réelle liberté d’investissement, bien qu’appelée à être approfondie.
Ce nouveau cadre réglementaire suggère d’abord une "dé bureaucratisation" de l’acte d’investir.
Les autorités ont répondu à l’attente générale avec une disposition relative à la liberté de rapatriement des capitaux investis et revenus générés.
Au plan légal, il faut retenir l’engagement qu’implique explicitement cette ordonnance, à savoir la garantie et la préservation des avantages octroyés au cas où de nouvelles dispositions réglementaires interviendraient.
Aussi bien, la question est-elle de savoir dans quelle mesure le capital serait convaincu de l’engagement en faveur de la stabilité du dispositif législatif en vigueur ?
L’ordonnance se veut une assurance au plus haut niveau, concernant aussi bien les nationaux que les ressortissants étrangers.
Les exonérations fiscales consenties pour une période de dix ans et la suppression de certaines taxes (TAP, VF et IRG) indiquent que l’acte d’investir est inscrit dans la durée.
À l’égard des étrangers, même si l’ordonnance n’apporte pas toutes les réponses attendues, autant en terme de libéralisation, de simplification et de stabilité du cadre juridique, elle n’entoure pas moins l’investisseur de garanties, exprimées à la fois par des engagements bilatéraux et par l’adoption officielle des conventions internationales.
Le capital étranger investi en Algérie est assuré de toutes les protections, jusques et y compris le droit de transférer capital et revenus, dès lors que l’investissement est effectué en devises convertibles, acheminées par des voies contrôlées.
Ces nouvelles assurances confèrent à l’architecture législative algérienne en matière d’investissements une perspective plus fiable, bien que ce soit le texte portant code des investissements qui devra instituer les garanties finales nécessaires.
Ce document aura vraisemblablement à prendre en considération les critiques formulées au texte d’ordonnance.
Une enquête conjointe CNUCED / autorités algériennes, portant sur les conditions de l’investissement étranger en Algérie durant la période 2002/2003, nous livre quelques éclairages sur ce qui reste à faire afin de peaufiner la législation sur les IDE.[1]
Le tableau proposé ci-dessous en est extrapolé.
Aspects critiques de l’ordonnance de 2001
Critique |
Contenu |
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I- Organes et attributions |
Liberté limitée aux activités non réglementées |
Le principe de la liberté d’investir reconnu |
Pas de restrictions au capital étranger en % |
Secteurs ouverts aux investisseurs étrangers |
Absence d’organisme chargé exclusivement de l’IED |
MDPPI / CNI / ANDI : autorité multiple |
Conflit d’attributions, missions comparables : les missions de l’Agence sont presque identiques à celles de la direction générale de l’investissement du MDPPI |
MDPPI / ANDI |
Administrations regroupées et fourniture immédiate des prestations liées à l’investissement |
Guichets uniques décentralisés |
Compétences décisionnelles floue entre ANDI et CNI |
Décision d’octroi des avantages sollicités |
Toutes les formes d’investissements : création nouvelle, extension d’un investissement ancien, réhabilitation et restructuration. |
Investissements élargi aux activités de production de biens et de service |
Standards internationaux reconnus |
Les investisseurs étrangers sont garantis : traitement national, clause de la nation la plus favorisée… |
En droit, l’expression "réquisition administrative" est très restrictive et semble exclure les autres atteintes au droit de propriété ou de jouissance |
Les investisseurs ne peuvent faire l’objet de "réquisition par voie administrative" |
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II- Transfert des fonds |
Ne vise que les "investissements réalisés à partir d’apports en capital au moyen de devises convertibles régulièrement cotées par la Banque d’Algérie". Ainsi, le transfert est non permis en cas d’investissements techniques sans apport de capital… |
Garantie de transfert du capital investi et des revenus |
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III- Règlement des différents |
Voir ci-dessous |
L’Algérie a adhéré à la plupart des conventions internationales multilatérales relatives aux litiges entre Etat et investisseur en matière d’investissements |
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IV- Mesures incitatives |
Voir ci-dessous |
Deux types d’incitations cumulatives : celles prévues par le droit commun et celles prévues par la législation sur les investissements |
Les dispositions ne spécifient pas le taux de la réduction ni sa nature |
Baisse des taux de droits de douane (équipements importés et entrant dans la réalisation de l’investissement) |
La CNUSED a proposé à l’issue de l’enquête citée une lecture critique des nouvelles dispositions et organes introduits par l’ordonnance présidentielle, ainsi qu’un rappel commenté du contexte juridique interne et international auquel adhère le pays.
L’intérêt de cette lecture est qu’elle permet de visualiser les progrès réalisés et ce qui reste à faire sur la voie d’une véritable libéralisation et sécurisation de l’investissement.
• Le conseil national de l’investissement (C.N.I) :
Composé des plus hautes instances de l’Etat (pas moins de huit ministres) est présidé par le chef du gouvernement, il est impliqué directement dans l’application de la législation sur l’investissement.
Bien que ses pouvoirs soient importants pour l’investisseur (se prononce et fixe les avantages) aucun texte d’application n’est venu en préciser la teneur, jusqu’à 2004, alors que cet organisme a été créé depuis 2001.
• L’agence nationale de développement de l’investissement (A.N.D.I) :
Créée sous la forme d’un établissement public administratif, l’ANDI succède à l’ancienne APSI et exerce sa mission sous l’autorité du CNI.
Y sont représentées notamment les organisations patronales et la chambre de commerce et d’industrie.
Concernant la décision d’octroi des avantages sollicités, il n’est pas clair qui, du CNI ou de l’ANDI, détient la compétence décisionnelle en la matière.
Composée de deux directions, celle des investissements étrangers et celle des conventions des investissements, l’ANDI ne dispose malheureusement pas d’une autonomie suffisante en matière de recrutement, de dépenses ainsi que des matériaux nécessaires aux activités de promotion (site Web non dynamique, guide de l’investisseur par secteur d’activité ou de données faibles sur l’état des investissements réalisés).
Il existe également un conflit d’attribution entre l’ANDI et le MDPPI.
En effet, les missions de l’agence sont comparables voire identique à celles de la direction générale de l’investissement au sein du MDPPI.
L’ANDI est soumise à une double tutelle : l’une administrative (hiérarchique) exercée par le chef du gouvernement et l’autre opérationnelle relevant du MDPPI (contestation).
Par rapport à l’APSI, les pouvoirs de l’ANDI sont plus étendus : promotion, accueil, facilitation des procédures, octroi des avantages, contrôle du respect par l’investisseur et obligations durant la période d’exonération, gestion du Fonds d’appui à l’investissement et d’un portefeuille foncier et immobilier.
Ces fonctions ne sont pas forcément compatibles et semblent surtout lourdes pour être supportées par la seule Agence.
La fonction de promotion nécessite à elle seule une stratégie plus sophistiquée.
De nombreux pays de la région ont créé des agences spécialement chargées de la promotion des investissements étrangers en vue d’attirer notamment les sociétés transnationales.
L’un des apports importants de l’ordonnance de 2001 est la création de guichets uniques décentralisés.
Les différentes administrations concernées par l’investissement y sont regroupées et ont l’autorité de fournir sur le champ les prestations administratives liées à la réalisation de l’investissement.
À ce pouvoir s’ajoute un autre qui faisait défaut dans l’ancienne réglementation : l’opposabilité des décisions de l’Agence.
• Le règlement des différends
L’Algérie a adhéré à la plupart des conventions internationales multilatérales relatives aux litiges entre Etat et investisseur en matière d’investissement, à savoir la Convention pour la reconnaissance de l’exécution des sentences arbitrales étrangères, adoptée par la Conférence des Nations Unies à New York en 1958, ainsi que la Convention pour le règlement des différends relatifs aux Etats et ressortissants d’autres Etats (CIRDI).
Elle a ratifié également la Convention pour la création de l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (A.M.G.I) adoptée en 1985 dans le cadre de la Banque mondiale.
De plus, la quasi-totalité des conventions bilatérales conclues par l’Algérie prévoient le recours au CIRDI ou à un arbitrage ad hoc pour le règlement des différends en manière d’investissements entre l’Etat algérien et les entreprises privées.
L’Algérie a également adopté une législation moderne relative à l’arbitrage international (décret 1993).
Cependant, l’arbitrage (interne ou international), ainsi que d’autres modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, commission des plaintes, conciliation, etc.) ne semblent pas très connus dans les milieux d’affaires.
La culture arbitrale est, en effet, très peu développée.
L’Algérie a adhéré aux principales conventions universelles et régionales en la matière.
De même, 27 accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (APPI) et 12 accords sur la non double imposition ont été conclus jusqu’au 1er janvier 2003.
Ces traités bilatéraux visent dans le cadre de la réciprocité à encourager, protéger les investissements et éviter la double imposition.
Par rapport aux pays de la région, le réseau des accords sur l’investissement reste relativement faible et ne couvre pas l’ensemble des pays d’origine des investisseurs potentiels en Algérie.
Par ailleurs, le pays a ratifié plusieurs conventions dans le cadre maghrébin, entre 1980 et 1996.[2]
• Les incitations fiscales :
La lecture du système des avantages fiscaux prévus par l’ordonnance de 2001 est loin d’être simple.
Trois régimes distincts sont prévus :
1- général, 2- dérogatoire non contractuel, 3- dérogatoire contractuel.
• Le régime général
Pour l’ensemble des investissements ayant fait l’objet de déclaration auprès de l’ANDI, deux avantages d’ordre purement fiscal sont accordés : franchises de TVA pour les biens et services entrant directement dans la réalisation de l’investissement et exemption du droit de mutation à titre onéreux pour toutes les acquisitions immobilières effectuées dans le marché local.
Le remboursement de la TVA qui n’est envisageable qu’après l’extinction de la période d’exonération n’est pas prévu par le texte sur l’investissement.
Dans le guide fiscal des investisseurs, il est précisé que le remboursement n’est admis que sous certaines conditions et doit résulter d’opérations d’exportation pour lesquelles la franchise à l’achat est autorisée, d’une cessation d’activité ou d’un précompte portant sur une période continue de 3 mois et produit par la différence entre le taux réduit (7%) applicable aux ventes et le taux normal (17%) grevant les facteurs d’achat.
• Le régime dérogatoire non contractuel :
Prévu pour les investissements réalisés dans les zones à promouvoir, ce régime peut être accordé tant au stade de la réalisation de l’investissement qu’après constat de mise en exploitation.
Deux remarques préliminaires s’imposent : l’ordonnance ne reconnaît pas un droit aux avantages pour l’investisseur qui doit solliciter dans tous les cas une décision de l’ANDI.
• Les incitations douanières :
Le régime général, ainsi que le régime dérogatoire prévoient une baisse de taux pour les droits de douane sur les équipements importés et entrant directement dans la réalisation de l’investissement.
Les deux dispositions ne spécifient pas le taux de la réduction ni sa nature, alors que la législation de 1993 l’avait fixé à 3%.
Dans ce cas, on ne sait pas si le taux réduit sera celui prévu par le droit commun (5%) ou si l’administration dispose d’un pouvoir de fixer ce taux discrétionnairement (en plus de ce taux réduit, deux autres taux sont prévus par le droit commun : 15 et 30%).
Par ailleurs, les deux dispositions de l’ordonnance de 2001 visent seulement les équipements et les biens "entrant directement dans la réalisation de l’investissement" et non pas les effets personnels ou moyens de transports importés par l’investisseur.
De même, l’ordonnance vise des taux réduits en matière "de droits de douanes".
Il n’est pas expressément spécifié des taux réduits en matière de redevance de prestation et de formalités douanières, dont les taux en droit commun sont respectivement de 2% et de 5/1000.
Les matières premières sont généralement plus taxées que les produits finis.
Des mesures restrictives, liées à la suppression des avantages pour l’acquisition d’équipements auxiliaires pour les projets d’extension ou de réhabilitation ont eu pour effet de pénaliser les investissements (baisse des projets de 38% en 2002).
Bien que ces mesures aient été prises dans le but de limiter le risque d’octroi abusif des avantages, l’ANDI estime que certaines constituent des obstacles sérieux à l’investissement.
Enfin, les délais théoriques de dédouanement sont sensés être réduits à 36 heures, mais en réalité, ils sont beaucoup plus long, pouvant aller de 15 à 32 jours (2001), et ne sont donc pas si compétitifs (6 jours au Maroc par exemple).
De même, selon de nombreuses entreprises étrangères, il existe une concurrence déloyale en raison de l’incohérence des tarifs douaniers et la non application de la loi aux entreprises algériennes.