PREMIÈRE PARTIE
STABILISATION MACRO-ÉCONOMIQUE, ASSAINISSEMENT FINANCIER ET
INVESTISSEMENT
L’achèvement de l’année de stand-by à vu intervenir la signature de l’accord de financement élargi (FFE) avec le Fonds monétaire international ; commença alors une période de gestion des réformes et leur traduction dans des politiques et des objectifs de gouvernement.
En 1996, le gouvernement algérien acheva les négociations avec ses créanciers publics et privés en vue de la restructuration des échéances de dette éligible, échues entre 1994 et 1998.
Cette année-là, M. Ahmed Ouyahia, succédait à M. Mokdad Sifi à la tête du gouvernement, sous la présidence de M. Liamine Zéroual, et héritait par conséquent d’un certain nombre d’objectifs sur lesquels il s’est engagé, pourvu des moyens financiers adéquats.
La signature de l’accord reposait également sur l’accompagnement technique et financier de la Banque mondiale dans les secteurs de l’habitat et de l’emploi (grands travaux, forêts et agriculture), inscrits en tant que projets dans le programme d’ajustement structurel.
Le gouvernement devait donc fonder son programme triennal sur ces objectifs pré-définis.
Comme ses prédécesseurs, M. Ahmed Ouyahia avait très peu pratiqué la gestion des affaires publiques et dut par conséquent apprendre sur le tas son métier de chef de gouvernement.
Il reçut ainsi que son équipe un héritage difficile à assumer.
Il avait principalement pour mission de réaliser un certain nombre d’objectifs socio-économiques qui surpassaient les capacités tant financières que techniques et humaines du moment.
Sous la houlette de la présidence de la République, l’espace dans lequel devait agir le gouvernement avait été auparavant formaté ; des résultats chiffrés ont été assignés pour la période 1995/1998.
Aussi, dans son premier programme triennal, le gouvernement a reconduit ces objectifs dans une conjoncture plutôt favorable.
Au sortir de l’année de stand-by, la demande sociale avait déjà accumulé, tous secteurs confondus, des déficits lourds.
De 1992 à 1994, ce fut une période noire sur ce plan :
1/. La moralité infantile atteignit des cimes inconnues, avec 55 pour 1000, le budget de la santé chutant à 4,7% du
PIB avant de remonter après le rééchelonnement
de la dette extérieure à 7,5% et se fixer en fin de parcours à 10% du budget annuel.
2/. En matière d’emploi, l’objectif de 1,2 millions de postes sur trois ans avait de quoi donner le tournis à l’exécutif.
3/. Dans le domaine du logement et de la construction (infrastructures scolaires), on parla de 800 000 unités à construire sur la période.
Le gouvernement bâtit donc son programme sur ces engagements, qu’il devait néanmoins concilier avec des impératifs de rigueur, d’épargne budgétaire et de poursuite de l’assainissement et de stabilisation du cadre macro-économique.
Sur le terrain ces objectifs se sont évaporés et à la fin du parcours, les ambitions étaient bien plus modestes.
L’embellie financière avait été de courte durée, puisque dès le second semestre de 1997, des signes inquiétants se profilèrent à l’horizon.
Cependant, le gouvernement Ouyahia ne perdait rien de son optimisme, et voyait le baril de pétrole se fixer au pire autour de 18 dollars.
L’hypothèse paraissait plausible, raisonnable et de surcroît prudente, comme l’avait déclaré alors le ministre Délégué du budget.14
Si bien que le département des Finances qui s’est attelé à produire la première mouture de la loi de budget pour 1998 dès le mois de mars, pour en présenter les premières esquisses au gouvernement en juin 1997, n’imaginait pas que la situation pouvait s’altérer si vite et si dramatiquement.
Dès lors, austérité et rigueur budgétaire guidèrent l’allocation des ressources annuelles.
Cette conjoncture coïncidait avec l’expiration de l’accord de financement élargi ; le texte de loi de finances complémentaire corrigea le tir en réduisant les dépenses de 19 milliards de dinars afin de juguler le déficit budgétaire.
Ces corrections apportées sous la présidence toute fraîche de M. Abdelaziz Bouteflika donnaient déjà le ton d’une rigueur élevée au rang de credo, car il fallut en tirer désormais la leçon.
- 14 - M. Ali Brahiti alors ministre Délégué au budget m’a gratifié d’interviews exclusives à l’occasion des lois de finances et lois complémentaire, jusqu’à fin 1999.
PREMIERE PARTIE
Les finances publiques dans la tourmente
En 1998, un violent choc financier a secoué les pays de l’Asie du Sud-est.
Son impact sur les places financières et boursières internationales fut considérable, et, par effet d’entraînement, affecta la demande pétrolière mondiale, engendrant une baisse sensible des prix du baril.
Le caractère durable de la déprime du marché pétrolier suscita un discours à la fois critique et anxieux sur l’avenir financier du pays.
L’Algérie alors très exposée sur ses positions extérieures, assimilait très mal les répercussions de cette crise.
Le gouvernement de l’époque fut alors pris à partie et vigoureusement critiqué pour son incapacité à anticiper et à réagir.
Face à la contraction brutale des ressources en devises, le gouvernement de
M. Ahmed Ouyahia[1] avait réagi en renonçant pour une part importante aux autorisations de crédits
d’équipement.
Au plan budgétaire ce fut la mise en attente et l’observation de l’évolution du marché pétrolier international ; au plan de la gestion pratique, le gel des dépenses publiques fut décidé.
Des voix se sont élevées pour dénoncer une gestion confinant, selon eux, à l’incompétence ; mais ces récriminations ne rencontrèrent guère alors l’écho souhaité parmi l’opinion publique et l’élite du pays.
Le gouvernement occupa son temps en s’adonnant à une programmation virtuelle des dépenses, soutenu par la conviction que les prix allaient remonter dès l’hiver 98.
Cette analyse n’était certes fondée sur aucun indice irréfutable à ce moment là, mais l’espoir était grand de voir la situation se redresser sur le marché pétrolier international.
C’est cet état d’esprit qui animait à cette époque le ministre des Finances
M. Abdelkrim Harchaoui, qui s’est efforcé de me transmettre ses convictions et son analyse de la situation à l’occasion d’une rencontre autour de la préparation de la loi de finances pour
1998.15
Nul n’imaginait en effet que le marché allait tomber en deçà de 11 dollars le baril.
I / 1997-1998 : Gérer d’abord la stabilisation
Tout entier à son programme de stabilisation macro-économique et aux équilibres globaux, le gouvernement était alors éloigné de l’idée d’une révision des méthodes de gestion budgétaire, de modernisation et d’analyse de l’impact des dépenses publiques.
Plongé dans le programme de stabilisation, l’exécutif gouvernemental n’entrevoyait pas encore une politique d’investissement public.
La vigilance aurait néanmoins dû prévaloir au sein du gouvernement au vu de l’indice de recul des cours observé à la fin du premier trimestre 1998, lorsque le baril du pétrole amorça une régression sensible pour de fixer à 18,46$. Il était respectivement à 23,41 et 23,37 en 1996 et 1997.16
A la faveur du confort financier relatif des deux années précédentes et sous l’effet d’une balance commerciale excédentaire, les réserves de change se sont améliorées, atteignant à la fin 1997 le niveau appréciable de 6,44 milliards de dollars.17
Ces résultats ont eu un effet d’entraînement sur l’ensemble des mécanismes monétaires internes, dont principalement le marché interbancaire, les cours de change ainsi que l’offre de devises.
Celle-ci ayant été potentiellement supérieure, il s’en est suivi une consolidation de ce marché.
Le taux s’est stabilisé pendant toute la période observée, évoluant autour de 57,4 DA contre un dollar.
L’inflation avait marqué un recul perceptible, se fixant à 2,4% sur tout le premier semestre de 1997.
A la fin du second trimestre, l’expansion de la monnaie fiduciaire n’excéda guère le taux de (3,7%). La masse de monnaie était évaluée vers le mois de juin à 320 milliards de dinars, avec un taux de 8,7%, indiquant une nette contraction en comparaison des années précédentes (15%).
Les recettes du budget ont été supérieures aux prévisions de 4 milliards de dinars et les dépenses publiques ont baissé (-2,2%).
En phase active du programme de stabilisation, les objectifs de maîtrise de l’inflation et des prix, de stabilisation des taux des changes et de la monnaie devaient impérativement être réalisés.
De nouveau, les recettes de la fiscalité pétrolière ont donné un coup de pouce non négligeable au budget, avec un gain de 3,3% sur les prévisions.
Tant est si bien que dès la fin du premier semestre 1997, le Trésor public s’est retrouvé en situation d’excédent (+68 GDA).
Le raffermissement des capacités de financement s’est traduit par un désendettement du Trésor à l’égard du système bancaire dès le premier semestre de 1997.
Ce processus, entamé une année auparavant, a augmenté le flux des fonds disponibles à l’économie (87 GDA).
Le Trésor à toutefois bénéficié de la monétisation des ressources du rééchelonnement (54,5 GDA), en raison de la clôture des Fonds d’assainissement des entreprises publiques.
Le Trésor a surtout eu à consolider les créances irrécouvrables (découverts des entreprises publiques) en crédits à moyen terme, au profil des banques18 , éligibles au réescompte et accompagné d’une facilité de refinancement auprès de la Banque d’Algérie.19
Il est bien vrai que l’offre sur le marché interbancaire est l’indicateur, le signe de stabilité et de disponibilité de la liquidité dans la sphère financière en général.
Le marché interbancaire avait négocié pendant cette période 91,7 milliards de dinars.
C’est quasiment un chiffre de référence depuis 1995, date de création de ce marché.
Les banques se sont en conséquence moins refinancées auprès de la Banque d’Algérie, précisément parce que la sphère interbancaire était liquide.
Il apparaît au travers de l’ensemble de ces indicateurs de gestion que l’objectif fondamental, au sortir de l’accord avec le Fonds monétaire international, était la consolidation de la stabilisation et l’assainissement des finances publiques, cependant qu’au sein de l’establishment, se faisait sentir un tiraillement entre ceux qui souhaitaient prolonger d’une année supplémentaire l’accompagnement par le FMI et ceux qui s’y opposaient.
Le gouvernement s’est focalisé sur ces objectifs, précisément pour faire la preuve de l’inutilité d’un éventuel prolongement du FFE.
Ce faisant, il délaissa l’analyse minutieuse du contexte international et ses implications immédiates.
L’observateur de la scène gouvernementale à cette période n’eût pas manqué de noter l’hostilité diffuse dirigée contre le gouvernement Ouyahia.
Sans doute en raison d’abord de sa composante, majoritairement renouvelé et rajeunie, et de l’autonomie inédite revendiquée par rapport aux acteurs institutionnels, qui n’avaient guère apprécié l’indépendance de décision revendiquée.
Cette situation s’est traduite sur le terrain par une absence totale de coopération sereine avec les conseillers de la présidence de la République, la Banque d’Algérie, l’arrière garde des cadres, le CNES… ; toutes choses donnant lieu à une déperdition de compétences si nécessaires au gouvernement.
Ce dernier s’est donc fondé sur le bon sens et le pragmatisme des ministres et cadres en place, sans grande expérience de la gestion et sans connaissance particulières du marché international.
A suivre ...
- [1] - Le Gouvernement de M. Ahmed Ouyahia a succédé à celui de M. Mokdad Sifi, en 1998, sous la présidence de Liamine Zéroual… ; il prit en main les affaires alors que l’accord de financement élargi signé en 1995 avec le FMI venait à expiration. Dès son arrivée, ce dernier afficha une réserve à l’égard des réformes libérales, telles qu’elles se déroulaient alors, notamment dans les secteurs du commerce, la fiscalité et dans celui des importations ainsi que les privatisations.
- 15 - La seule personnalité à avoir vigoureusement réagi dans les colonnes de la presse indépendante était M. Mourad Benchenhou. V. sur cette question « Crise Economique, Hogra et Tribalisme »
- 16 - Idem. Voir également le rapport de conjoncture de la B.A. du second semestre 1996.
- 17 - Au second semestre 1997, la balance commerciale était excédentaire de près de trois milliards de dollars, le montant des marchandises acquises à l’l’extérieur s’étant élevé à 3,8 milliards $ sur la période. Globalement, les transactions courantes ont affiché un excédent de 2,2 milliards de dollars. Les gains engrangés en termes de réserves de devises ont atteint 6,44 milliards de dollars, l’équivalent de 8 mois d’importations de biens et services, alors qu’on enregistra moins de la moitié de ces capacités à la fin de l’année 1996.
- 18 - Les crédits intérieurs bancaires ont atteint 1110 milliards de dinars.
Quant aux avoirs extérieurs nets en 1997 ; ils ont franchi 259 milliards de dinars (près de quatre milliards de dollars).
- 19 - Voir sur ce sujet la partie consacrée au système bancaire.
A titre indicatif, 544 milliards de dinars de dettes des entreprises ont été traité par le Trésor, chiffre non imputable sur le premier semestre de 1997, mais incluant la clôture de ce refinancement.
L’ensemble des banques ont bénéficié du traitement de 70 milliards DA ; le refinancement des entreprises d’une part, l’apurement de l’endettement par le moyen des rachats nets d’autre part ont rendu possible un flux conséquent transformé en crédit à l’économie.
On est ainsi arrivé au chiffre de 699, 5 milliards de dinars à la fin du premier semestre 1997.
L’expansion monétaire a corollairement observé une hausse de l’ordre de (8,8%).
On note, pendant toute cette période, une augmentation des dépôts à terme en devises et une amélioration de la collecte des banques (dépôts à vue).
Tous ces facteurs ont participé à la stabilité monétaire d’ensemble et ainsi à la maîtrise de l’inflation.
- 13 - Après le repli du marché pétrolier à la fin de 1997, on ne parla plus que de 20 000 logements à réaliser par an. V.loi de finances complémentaire pour 1999.