CHAPITRE PREMIER (suite)
Les finances publiques dans la tourmente
II/. 1999-2000 : Conservatisme budgétaire et
impôt
Lors de cette étape l’économie budgétaire est demeurée la première préoccupation du gouvernement, au grand dam de l’opinion, du moins celle qui s’est exprimée au travers des médias et dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale.
Ce qui, pour les autorités budgétaires, avait impliqué un laborieux effort de conciliation entre deux termes aux antipodes : rigueur et croissance.
Pendant le premier semestre, on s’est appliqué à observer une certaine prudence en laissant évoluer les prix du baril de pétrole jusqu’au point de stabilité, avant de s’engager, dans le cadre de la loi des finances complémentaires, sur des objectifs d’investissement mieux soutenus20.
Le cours du pétrole brut se maintenant à partir de janvier autour de 24/25 dollars, le gouvernement s’autorisa des dépenses supplémentaires d’équipement, mais tout en contenant le déficit budgétaire dans des proportions acceptables.
Le projet initial aboutissait à un déficit du Trésor, en encaissement / décaissements et en principal de la dette, de 2,9% du PIB.
Il y eu en début d’exercice fiscal un problème de financement de ce déficit du fait de l’épuisement des possibilités d’utilisation des ressources de rééchelonnement.
Au prix de grands efforts, il est ramené à 2,2%.
Lorsque la nouvelle équipe arriva au gouvernement après l’élection de M. Bouteflika elle réagit mal au déséquilibre entre l’investissement et les dépenses de fonctionnement, et s’est donc montrée peu disposée à accepter de laisser filer les dépenses de fonctionnement au détriment de l’équipement, ce qui s’est traduit par l’allongement des délais d’élaboration du texte de loi des finances pour 2000.
L’exercice budgétaire 2000 s’annonça sous de bons auspices, marqué par une nette hausse des recettes de fiscalité ordinaire, avant un surplus de 13%21.
Bien qu’agissant dans un contexte en nette amélioration, le gouvernement adopta une politique macro-économique conservatrice se traduisant par une augmentation mesurée des dépenses, couplée avec de hauts revenus pétroliers.
D’où un excédent « compte courant » avoisinant 17% du produit nationale brut (PNB). Cette politique conservatrice s’est aussi traduite par une amélioration des indicateurs externes de la dette et, en général, a contribué à une baisse marquée du taux d’inflation.
L’année budgétaire s’est clôturée sur une recette fiscale finale de 157,66 milliards de dinars DA.
Un exercice généreux en comparaison de l’année qui a précédé. Sur une période entière, de septembre 1999 à septembre 2000, l’évolution des recettes fiscales globales avait été remarquable, passant de 650,6 à 1029,4 milliards de dinars.
La fiscalité pétrolière a progressé de 369,8 GDA en septembre 1999 à 761,1 GDA en 2000.
Dans la structure des dépenses, la dette publique a représenté le troisième poste après celui des actions économiques et sociales.
Sur la période considérée, elle augmenta de 20,8 GDA.
En réalité, les dépenses de fonctionnement sont principalement grignotées par les salaires, le financement des actions sociales et le remboursement de la dette, ce qui enlève au budget toute son élasticité et souplesse et explique la très grande difficulté à faire aboutir toute exigence de réduction en ce domaine.
L’étroitesse des marges de manœuvre a posé de grandes difficultés aux autorités budgétaires, expressément sommées de réduire les dépenses sur les différents chapitres de fonctionnement.
Socialement pénible, l’exercice 2000 a donc combiné une conduite prudente de l’objectif d’inflation et une gestion fiscale restrictive.
Principaux agrégats financiers de l’exercice 2000
Inflations |
1% (objectif prévisionnel). |
Masse monétaire |
10% (en valeur, 1615 (GDA) |
Balance commerciale |
9,2 milliards de dollars (11 mois). |
Stock dette extérieure |
26,5 milliards de dollars. |
Service dette / export |
22%. |
Remboursement dette |
4.5 milliards de dollars. |
Réserves de change |
9,6 milliards de dollars ( à fin octobre ) |
III/. Une nouvelle orientation des dépenses publiques
Jusqu’à 2001, période de confirmation de la bonne tenue du marché pétrolier mondial, les dépenses publiques d’équipement étaient corsetées dans une fourchette variant entre 200 et 280 milliards de dinars.
La rigidité des dépenses publiques s’explique en partie par les contraintes de remboursement du principal et du service de la dette qui engloutit le budget annuel.
Ce manque de souplesse fait que les enveloppes allouées à l’investissement sont demeurées très mesurées, même si en pourcentage, ce poste a représenté 9 à 10% des dépenses globales.22
Ce taux est en quelque sorte devenu une norme à laquelle le gouvernement s’en tient et qu’il observe d’une année sur l’autre.
Les méthodes de gestion des ressources budgétaires et des moyens publics en général amoindrissent considérablement l’efficacité et l’impact des dotations annuelles.
Depuis plusieurs années, le Budget s’est efforcé de discipliner les ordonnateurs et de les responsabiliser, en tentant d’instaurer une obligation de résultats sanctionnant l’exécution des projets locaux et nationaux, mais cet effort bute sur des lourdeurs qui bien souvent dépassent la seule autorité des responsables chargés d’ordonner les dépenses publiques.
Pour en rester à l’hypothèse de la relance, les agrégats financiers, en dépit de leur évolution positive les cinq dernières années, n’ont pas eu d’effet sur la croissance et l’emploi.
Aussi bien était-il nécessaire de définir une politique plus audacieuse, fondée sur des objectifs précis de croissance, voisins de 7 et 8%.
Ce qui paraissait inconcevable avant 2001, compte tenu de la situation financière dominante, allait très vite se révéler possible avec la confirmation d’une stabilité des ressources d’exportation.
Au plan interne, l’année 2000 fut celle de l’évaluation et du diagnostic. Année durant laquelle avaient été précisés les contours des réformes libérales à entreprendre ou à approfondir.
Il en fut ainsi des Finances, de l’entreprise et de l’articulation à l’économie internationale par l’activation des négociations avec l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Au niveau politique, l’élection présidentielle a introduit un facteur qui a infléchi positivement l’appréciation par l’opinion internationale de la situation économique, politique et sécuritaire du pays.
L’année 1999 fut en quelque sorte un intermède, une étape neutre ayant permis le passage à une autre phase plus dynamique, accréditant la possibilité d’un sursaut.
L’action politique du président Bouteflika avait eu un grand retentissement dans le monde.
L’activisme dont il fit preuve, en multipliant les déplacements vers les pays étrangers, l’effort de communication en direction de l’opinion mondiale, sa verve et son endurance ont eu raison de l’apathie générale affichée à l’égard de l’Algérie.
À l’amorce du mandat présidentiel, M. Bouteflika fit le choix d’un marketing à grande échelle, s’entourant de l’expertise d’hommes nouveaux au crédit non négligeable dans les milieux des organisations internationales.
Premier effet attendu, l’analyse du risque Algérie par la Coface s’est améliorée par rapport à 1998, année durant laquelle les cafouillages et les hésitations concernant la politique d’ouverture de l’économie, la politique fiscale et tarifaire ont eu raison du peu de confiance des investisseurs.23
La Coface avait alors été très sévère et clairement dissuadé les hommes d’affaires français d’investir en Algérie, d’autant que le contexte sécuritaire dominant offrait alors un argument de poids.
Deux ans plus tard, une amélioration du climat politique est relevée dans le rapport de la Coface "(…) Le programme de réforme adopté au commencement de l’année 2000 est un pas dans la bonne direction, il inclut particulièrement la privatisation et la modernisation du système bancaire.
Le but est de diversifier et libéraliser l’économie, afin d’attirer l’investissement étranger.
La perspective à moyen terme dépend en grande partie de la mise en œuvre couronnée de succès des réformes (…)".
Deux années plus tôt, la Coface avait noté noir sur blanc que le risque Algérie était faible à court terme mais élevé à long terme.24
Les réponses adéquates à toutes les réserves émises n’interviendront qu’en 2002, après une année de maturation et un engagement ferme du président de la République à lever les réserves sur l’intégration de l’économie algérienne à l’environnement européen et mondial.
Ainsi, nous voyons combien le problème de l’investissement
étranger en Algérie était
- et l’est encore - lié à la fois aux réformes de libéralisation elles-mêmes et à la nature du régime politique en place.
L’élection présidentielle avait débloqué la situation politique en dépit d’une farouche résistance des forces conservatrices et adeptes de l’opacité dans la gestion des affaires.
La partie de bras de fer qui s’était engagée a révélé la capacité réelle du chef de l’Etat à affranchir le pouvoir politique et reconquérir durablement les attributs du pouvoir présidentiel.
Bien qu’ayant été très mal jugé par l’opinion véhiculée par les médias nationaux privés, il réussit à affranchir une parcelle de son autorité, car l’on s’est aperçu que les réformes économique et politique devaient nécessairement aller de pair au risque d’éroder le regain de crédit auprès de l’opinion internationale.
Au reste, les représentants politiques des pays étrangers autant que leurs hommes d’affaires entendent dialoguer avec un interlocuteur susceptible d’incarner et d’exercer réellement le pouvoir politique, qui s’engage résolument face à eux et se montre capable de mettre en œuvre des politiques avec toute la détermination nécessaire.
Cette détermination voulue et la résolution attendue se sont clairement manifestées dans l’épreuve de libéralisation du secteur de l’énergie (électricité, gaz et pétrole).
- 20 - Le budget de fonctionnement, tel que prévu initialement par le texte de loi des finances, et retenu par le Conseil des ministres, représentait 962 milliards DA. Les dépenses de personnels accaparent 342 milliards de dinars, dont les établissements publics administratifs et le personnel des hôpitaux. 290 milliards avaient été prévus au titre du remboursement de la dette publique, charges et principal, chiffre revue ultérieurement à 220 milliards DA. L’action économique et sociale, non compris le budget des hôpitaux et moudhahidines, bénéficia de 186 milliards. Les moyens de fonctionnement de l’Etat reçurent 95 milliards de dinars, toutes charges incluses, (aides universitaires, électricité, téléphone, moyens pédagogiques du secteur de l’éducation, etc.)
Il y avait donc 19 milliards en surplus dans la proposition initiale faite au titre du budget de fonctionnement. Dans ce contexte, l’équilibre budgétaire devenait obsessionnel, et l’on rechercha dans les effectifs de la fonction publique et dans l’impact des transferts sociaux un moyen de stabiliser les dépenses, tout en améliorant l’impact sur la population.
Pour l’équipement, le projet de budget initial prévoyait 285 milliards de dinars, portés à 290 milliards DA. Le surplus est allé vers les secteurs qui ont une incidence importante en matière économique et sociale comme l’habitat et les programmes communaux de développement (PCD). Sur les cinq milliards additionnels, quatre sont affectés au logement social, en plus de l’enveloppe initiale. Le dernier milliard aux P C D.
Dans le détail, sur les 290 milliards, 42 milliards sont inscrits au titre des dotations capital, restaien 265,8 Mds DA comme dépenses d’investissement. Des subventions qui vont directement aux réalisations effectuées par les secteurs relevant de l’Etat.
- 21 - V. partie consacrée à la fiscalité. En 1998 par exemple, la fiscalité pétrolière avait représenté 65% des ressources budgétaires globales. Les prévisions ont été basées sur un baril de pétrole de l’ordre de 18 dollars. En 2000, ce poste a représenté 51% des recettes totales. Le cours prévisionnel du baril de pétrole étant inférieur à 15$, le recul s’explique en partie mais le rapprochement entre les deux postes de la fiscalité indique aussi un effort supplémentaire de mobilisation de l’impôt ordinaire.
En 1997, les recettes ordinaires avaient déjà affiché une croissance de 8% en volume. Ce taux a évalué de cinq points sur trois exercices. Sur près de 5 ans, les recettes budgétaires globales ont augmenté de 200 milliards de dinars.
Entre 1996 et 2000, la progression a été de près de 100 milliards de dinars en ressources fiscales non pétrolières. Nous sommes passés de 329 milliards de DA tout impôt confondu à 429 milliards de DA.
Ces comparaisons sont davantage plus expressives que les 8% de 1986 et 1999 ont été obtenus dans un contexte de déclin des importations et par conséquent des produits de la TVA et de droits de douane.
La politique fiscale devient foncièrement moins répressive au sens de la pression, investissant davantage dans des systèmes plus attractifs, introduisant par exemple un desserrement sur les bénéfices des sociétés ou encore l’unification des taux de TVA. En 1999 2000, tous les postes de contribution fiscales ont baissé, hormis la TVA sur les hydrocarbures et les taxes sur les produits pétroliers.
Bien que les hausses n’aient pas été particulièrement fortes dans les différents postes des recettes ordinaires, il en a résulté une légère dynamique dans les sphères commerciales et d’importation. Les produits de douanes par exemples ont gagné, sur la période visée, plus de 10 milliards de dinars. Une fine observation permet cependant de relever que l’activité n’a pas été, à proprement parler, entraînée, les revenus demeurant stationnaires. Globalement on n’observa donc pas d’effet dynamisant des hausses des recettes dans le courant de la période comprise entre l’ouverture de l’exercice 1999 et la clôture de l’année 2000.
- 22 - Hors plan triennal de soutien à la croissance enclenché en 2001 et doté d’une dépense publique globale de 524 milliards de dinars.
- 23 - Ajouter y les restrictions sur les importations françaises décidées par Ahmed Ouyahia alors chef de gouvernement. Il y eut polémique avec les autorités françaises et la COFACE avait émis un rapport très sévère contre le pays. M. Ouyahia a dû s’expliquer sur ses intentions dans une lettre transmise via les circuits officiels.
- 24 - Risque Algérie selon la Coface (1998/1999).
" L’Algérie dont la situation économique et financière s’était améliorée de façon notable avec l’évolution favorable du prix du pétrole, va connaître une nouvelle période difficile en raison de récente chute du cours du baril associée à la fin des accords de rééchelonnement de la dette extérieure qui alourdit le poids du service de la dette.
- Les réformes engagées n’avaient pas encore porté leurs fruits. L’économie insuffisamment diversifiée, comme en témoignage la chute de 17% de la production manufacturière au cours de cinq dernières années, demeure vulnérable aux chocs externes.
- Le climat se prêtait alors mal au développement du secteur privé pourtant nécessaire à une réelle diversification économique et ce pour trois raisons :
- les fortes tensions sociales dans un contexte de chômage élevé que les privatisations ne peuvent, dans un premier temps qu’aggraver ;
- Le terrorisme qui en dépit de la trêve signée par l’A I S n’en continue pas moins, renforce la réticence des investisseurs ;
- Les élections présidentielles qui vont créer une période d’attentisme peu propice à l’action.